Saint-Martin. Rencontre avec la Cour et la Chambre Territoriale des Comptes
Nous avions évoqué dans un récent article (Finances. Saint-Martin dans le collimateur de la Cour des Comptes ?) la visite “surprise” du Premier Président de la Cour des Comptes, Didier Migaud, et notamment la difficulté à en cerner les motifs et objectifs. Le lumière était faite hier en préfecture où le Président Migaud, accompagné du Président de la Chambre Terrtioriale des Comptes, recevaient la presse.
Si l’on devrait plus être contraint de présenter la CTC, outil régional, tant elle intervient sur notre territoire pour notamment éclairer la Collectivité lorsqu’il s’agit d’équilibrer son budget, l’occasion est sans doute la bonne pour définir le rôle et les missions de la Cour des Comptes, instance qui nous est plus éloignée.
Tout savoir ou presque sur la Cour des Comptes…
La Cour des comptes a pour mission de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens (selon l’article 47-2 de la Constitution).
Juridiction indépendante, la Cour des comptes se situe à équidistance du Parlement et du Gouvernement, qu’elle assiste l’un et l’autre. La Cour rend publics et met en ligne sur son site internet tous ses travaux (sauf exigence particulière de confidentialité).
Les contrôles et les évaluations de la Cour des comptes portent sur :
– la régularité : l’argent public est-il utilisé conformément aux règles en vigueur ?
– l’efficience et l’économie : les résultats constatés sont-ils proportionnés aux moyens mis en œuvre ?
– l’efficacité : les résultats constatés correspondent-ils aux objectifs poursuivis ?
Des recommandations accompagnent les observations de la Cour dans tous ses rapports publics. Ce sont des mesures concrètes pour remédier aux gaspillages et pour faire progresser la gestion des services publics au meilleur coût. La Cour s’assure de la mise en œuvre de ses recommandations et des suites qui leur sont données. Le tome II de son rapport public annuel est consacré à ces suites.
La Cour peut aussi mettre en jeu la responsabilité des décideurs et des gestionnaires publics, lorsqu’elle relève des infractions ou des fautes de gestion. Dans certains cas, elle les juge elle-même et prononce des sanctions, dans d’autres, elle saisit les autorités compétentes pour engager des poursuites – la Cour de discipline budgétaire et financière ou le juge judiciaire. (source : http://www.ccomptes.fr)
La plaquette institutionnelle de la Cours des comptes pourra éclairer plus profondément les plus curieux, notez qu’elle revient aussi sur les missions et l’organisation des CTC :
Mais que nous vaut l’honneur de cette visite ?
Les présentations étant faites, cette visite pouvait de prime abord présenter un petit côté austère si l’on en juge par l’actualité du Président Migaud et sur le fait qu’il n’est jamais bon de se faire “épingler” par la cour des comptes. En effet, l’homme est peint par la presse métropolitaine, sous des devants particulièrement avenants et sous couvert d’un discours très polissé, comme particulièrement habité par la notion de rigueur budgétaire notamment appliquée aux collectivités territoriales et à leurs dépenses en personnel plus particulièrement.
Car c’est aussi de la rigueur des collectivités et pas seulement de celle de l’état, que dépend la capacité de la France à honorer ses engagements pris face à l’Europe que de redresser ses compte publics.
Alors, on comprend bien le sentiment de malaise à peine chuchoté que de voir débarquer le “number one” du contrôle des dépenses publiques sur un territoire qui rame autant qu’il le peut pour assumer économiquement son évolution statutaire et un train de vie pourtant revu à la baisse mais que les impôts et taxes locales ne parviennent à assumer. Imaginez quel serait notre devenir si en plus de charges mal compensées, de fonds européens fléchés vers d’autres territoires malgré le criant besoin local, d’un incivisme fiscal notoire, d’une assiette non maîtrisée et d’un recouvrement passable, nous faisions l’objet des attentions délicates de la cour des comptes…
Mais, rien de tout cela… pour le Président Migaud, sa visite s’inscrit dans le cadre d’un déplacement programmé en Guadeloupe où il inaugurera mercredi les nouveaux locaux de la Chambre Territoriale des Comptes. Naturellement, Saint-Martin et Saint-Barthèlemy relevant de la compétence de la CTC de Guadeloupe, la visite de ces deux collectivités s’imposait ne serait-ce que par courtoisie. C’était aussi pour le Président l’occasion de venir évoquer ce rapport récent sur l’autonomie fiscale en outre-mer, rapport que vous trouverez ici 261113-Fiscalite.pdf (172,7 KiB, 928 hits)
Rappelons simplement que contrairement à ce que les médias nationaux s’emploient à dire de nos collectivités pour le bénéfice de l’audimat ou de ventes en berne, ce rapport rappelle notamment qu’il n’existe pas de paradis fiscaux en France. Enfin, le président n’a pas caché sa volonté et son plaisir que de mieux appréhender les réalités de ces deux territoires du bout du monde ayant récemment choisi l’évolution statutaire et réclamé l’autonomie fiscale notamment.
Des journalistes mus en VRP du territoire… enfin, certains
C’est donc dans une ambiance détendue que les deux présidents se sont prêtés aux jeux des questions qui ont en fait très vite dévié tant les journalistes, chroniqueurs ou agitateurs présents ont à cœur notre territoire, se transformant donc en véritables VRP de nos spécificités et difficultés. Il faut avouer qu’en présence de ces deux personnalités, de la rareté de ces rencontres en terme de qualité et du lobbying tous azimuts dont on espère qu’il permettra à Saint-Martin d’obtenir la qualité d’écoute nécessaire pour éviter l’échec institutionnel, l’occasion était trop belle.
Pourtant, la cour comme la chambre ne se substituent ni aux responsabilités de l’état ni à celles de la Collectivité de Saint-Martin et en ce sens, les échanges n’auront pas échappé à ce que nous vivons depuis 6 ans maintenant : l’état aimerait voir la Collectivité mieux assumer ses compétences et la Collectivité aimerait voir l’état mieux assumer les siennes…
En terme de fiscalité, le Président Migaud rappelait que Saint-Martin vit une pression moins élevée que la métropole pendant que le Président Diringer évoquait les quelques avantages consentis localement dès la première mandature et qui s’ils étaient ramenés à ce qui se pratique en France permettrait à la collectivité de trouver quelques subsides supplémentaires. Et si la clef d’une bonne fiscalité réside dans le subtil équilibre entre le produit des impôts et taxes et les besoins de la Collectivité, force est de constater que cet équilibre n’est pas atteint et ne risque pas de l’être tant que les problèmes d’assiette, de recouvrement et d’incivisme ne seront pas résorbés.
Un point tabou a été évoqué pour que ces deux personnalités rompus à l’exercice des chiffres dans des cadres républicains bien maîtrisés puissent quitter notre territoire pleinement conscients de ses problématiques : la transfrontaliarité. Pourquoi tabou ? Tout d’abord parce que l’absence de matérialisation de cette frontière, en marge de ce que le droit serait à même d’imposer entre un territoire part de l’Europe (Nous) et un autre n’étant pas concerné par les accords de Schengen, est un héritage historique du traité de Concordia et qu’en ce sens, il serait particulièrement hasardeux que de vouloir oser une clarification ou une modernisation du dit traité. Ensuite, bon nombre “d’hommes d’affaires” ont depuis longue date pris la pleine mesure de cette passoire et qu’en ce sens, elle permet une certaine évaporation fiscale notamment… sa matérialisation serait donc par cet autre pan de notre société mal perçue.
Pourtant, il est difficile de penser une politique fiscale fiable, équilibrée et stable avec cette singularité frontalière locale et il est éminemment plus facile de préconiser une augmentation de taxes bien connues comme la TGCA ou une augmentation des contrôles plutôt que de s’atteler à des sujets par trop scabreux. Au bilan, et malgré cette hausse de deux points de la TGCA, soit son doublement, son produit cette année n’atteindra pas les montants espérés tant ceux qui y contribuent sont las de l’inéquité de son champ d’application et de croiser partout ceux qui ne la paient pas.
Que peut-on attendre, voire espérer de cette visite ?
Si l’objet n’était pas d’exercer localement le pouvoir dont est investi la Cour des Comptes, le Président Migaud a néanmoins rencontré nos élus, Sénateur, Député, Présidente et Vices-Présidents, le Président de l’EEASM et la représentation de l’état, le Préfet Chopin en tête. Il ne fait aucun doute sur le fait que toutes et tous ont usé du temps que le Président Migaud leur a consacré pour alerter cet homme positionné au sommet de l’une des institutions de l’état de la scabreuse situation de la Collectivité de Saint-Martin et de l’hors-normalité de son évolution statutaire. Pour autant, la marge de manœuvre du Président Migaud reste cantonnée à celles dévolues à la Cour des Comptes même s’il nous a affirmé qu’il sensibiliserait personnellement et en périphérie de la Cour des Comptes ceux de “son carnet d’adresses” (que l’on devine aisément conséquent puisque ses interlocuteurs privilégiés se trouvent à l’Elysée, Matignon ou Bercy) qui pourraient influer sur le destin de ce petit territoire du bout du monde…