PRESIDENTIELLES 2012: Pourquoi Nicolas Sarkozy pourrait encore gagner…

F.L
Par F.L 30 Avr 2012 17:28

PRESIDENTIELLES 2012: Pourquoi Nicolas Sarkozy pourrait encore gagner…

Serge Galam, physicien, spécialiste du désordre, inventeur de la « sociophysique » applique à l’analyse des mouvements d’opinion une méthodologie nouvelle. Celui qui avait été l’un des seuls à prévoir l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002, nous explique que la victoire annoncée de François Hollande à l’élection présidentielle française de 2012 est loin d’être certaine. Comment ? Par le simple retournement d’un pour cent seulement « d’inflexibles » parmi la population, consécutif à quelques évènements mineurs (maladresse des socialistes, mauvais débat de François Hollande, légère dédiabolisation de Nicolas Sarkozy…), pourrait entraîner un renversement substantiel de la tendance actuelle. Les jeux sont donc loin d’être faits par avance. Démonstration. ( L’article original sur le site jolpress.com )

Photo : World Economic Forum / cc

Au début du mois d’Avril tous les Instituts de sondage créditaient pour le premier tour de l’élection présidentielle française, Jean-Luc Mélenchon de 17 % des votes et Marine Le Pen de 12 % des votes, et ceci depuis plusieurs semaines. Le résultat est que 48 h plus tard Jean-Luc Mélenchon recueille 11,11% contre 17,9% pour Marine Le Pen. Les commentateurs se sont contentés de déclarer que les sondages s’étaient trompés. La vérité est que les sondages tous concordants ne se sont pas trompés : trois jours avant l’élection, les Français auraient en effet voté comme il était prévu. Mais en quelques jours cette opinion s’est transformée. Pourquoi ?

Le phénomène de la baisse soudaine des votes pour Jean-Luc Mélenchon

Pour différentes raisons dont aucune n’a été corrélée à un évènement spectaculaire la tendance annoncée s’est inversée. Un certain nombre de sympathisants de Jean-Luc Mélenchon ont probablement voté «  utile » ; la peur de l’insécurité a gagné les rangs de certains électeurs de droite qui ont voulu exprimer un message fort en votant pour Marine Le Pen. Mais là n’est pas l’essentiel, nous avons là une illustration claire de transformation d’opinion en un temps très rapide, due à des réactions en chaîne d’électeurs qui changent d’opinion, sans que ne se soit produit aucun évènement extérieur notable. Des changements brutaux de plusieurs pourcents en deux jours que les sondages ne pouvaient pas voir venir. En revanche, une fois ces changements survenus, les sondages peuvent les mesurer comme ce fut le cas dimanche.

La sociophysique et les mouvements d’opinion

Cette analyse provient des modèles de la sociophysique. Cette science récente qui applique aux mouvements sociaux les méthodologies de la physique du désordre n’en est qu’à ses balbutiements, mais peut néanmoins se targuer d’un certain nombre de petits succès qui, s’ils ne la valident pas définitivement comme établie scientifiquement, démontrent que ses fondements permettent une compréhension nouvelle de la dynamique d’opinion. En particulier, elle a mis en évidence le rôle déterminant d’individus inflexibles, même en tout petit nombre. Les équations montrent que dans certaines conditions, un changement de seulement un pour cent de la proportion d’inflexibles peut entraîner un basculement de plusieurs dizaines de pourcents d’opinion d’individus flexibles. Il existe aussi des dynamiques de seuils comme ce fut le cas pour l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 que nos modèles avaient prévue.

La victoire de François Hollande n’est pas certaine

Nous sommes maintenant à quelques jours du second tour de l’élection présidentielle française et tous les sondages accordent une victoire certaine à François Hollande. Nos modèles de « sociophysique » nous ont montré de nombreuses fois, qu’en quelques jours, une opinion peut se transformer. La surprise d’une victoire de Nicolas Sarkozy ne serait alors pas impossible. Tout comme la victoire de François Hollande ne serait donc en rien certaine, même s’il semble bénéficier aujourd’hui d’une nette avance sur son concurrent.

Le scénario de « l’impossible victoire » de Nicolas Sarkozy au second tour

D’après nos modèles d’opinion de la « sociophysique », la formation d’un 1-2% d’inflexibles supplémentaires en faveur de Nicolas Sarkozy serait à même d’entraîner les 30% de flexibles nécessaires à sa victoire.

De plus, un autre phénomène s’ajoute à ce possible glissement de 1-2% d’inflexibles en sa faveur. C’est le fait que dans de nombreux milieux académiques, artistiques et éduqués, il est impossible d’afficher son soutien éventuel à Nicolas Sarkozy, tellement l’antisarkozysme y est explicitement hurlé, ce qui évidemment empêche toute discussion entre amis. On se doit d’y adhérer par le silence. Il suffirait que lors des prochains jours, un petit pourcent de ces personnes retranchées dans leur civilité « osent » leur opinion, et se mettent à débattre pour contribuer à ce petit fléchissement d’inflexibles qui, toujours d’après les équations, provoquerait un effet de levier brutal et soudain, amenant le jour de l’élection la victoire surprise de Nicolas Sarkozy comme illustré sur la figure où seule une différence de 1% d’inflexibles différencie les deux courbes ci-dessous.

La démonstration par la « sociophysique »

Sans rentrer dans le détail de la démonstration permettant d’aboutir à cette conclusion, qui serait trop complexe, voici toutefois quelques explications pour mieux comprendre la méthode. La « sociophysique » repose sur ce postulat provocateur : dans certaines conditions, les humains se comportent comme des atomes sans qu’ils soient pour autant réductibles à des atomes. La « sociophysique » utilise ainsi des concepts et des techniques issus de la physique du désordre, pour décrire certains comportements sociaux et politiques en construisant des modèles ultra simplifiés de ces réalités, mais néanmoins, prétendent à en saisir une partie. Elle a permis en particulier d’identifier certains aspects surprenants des dynamiques d’opinion dans la formation des opinions publiques et des votes collectifs.

C’est précisément sur la base de ces travaux que je présente ici cette « stratégie » pour la victoire de Nicolas Sarkozy pour confronter le modèle à la réalité. Quel qu’en soit le résultat, il n’est pas question d’un quitte ou double scientifique, mais bien d’une démarche scientifique qui consiste à construire un modèle, en tirer des prédictions claires que l’on teste, pour ensuite, si la prédiction est validée ou erronée, en comprendre les causes  et modifier les ingrédients du modèle. C’est ainsi que progresse toute recherche scientifique.

Quel est le postulat de départ ?

Plus de six millions de voix du FN, aussi bien à gauche qu’à droite, on s’agite pour les récupérer, soit en intégrant certaines de leurs aspirations tirées du programme de Marine Le Pen, soit en en intégrant leur désarroi existentiel. La droite répondrait en psychothérapeute aux symptômes, la gauche en psychanalyste aux causes. Mais on oublie l’essentiel : un électeur n’est pas un produit labellisé dont il suffit de racheter la « marque » pour en devenir dépositaire. C’est une « machine » complexe qui construit son opinion et surtout peut en changer en en discutant avec ses pairs.

Beaucoup d’électeurs vont débattre entre eux de leurs choix respectifs avec en gros deux types d’électeurs : les « inflexibles », ceux qui ont fait un choix et n’en démordront pas quoi qu’il arrive, et les « flexibles », ceux qui ont également fait un choix, mais s’ils donnent leur avis, écoutent aussi celui des autres, et peuvent éventuellement se laisser convaincre. Il se trouve que les inflexibles ont un effet démultiplicateur énorme sur la dynamique de changements d’opinion des flexibles. Ainsi, ce ne sont pas des millions d’électeurs qu’il faut convaincre, mais former une petite minorité d’inflexibles, qui par le simple fait du débat entre amis, va produire par un effet viral la « contamination » d’un grand nombre d’électeurs flexibles. Ces inflexibles ne se forment pas par un coup de baguette magique, mais en l’occurrence de nombreux inflexibles favorables à Nicolas Sarkozy sont aujourd’hui silencieux. C’est leurs paroles locales qu’il s’agit de libérer pour Nicolas Sarkozy. Comme pour François Hollande, l’enjeu est au contraire de les maintenir silencieux.

Que disent les sondages ?

Alors que selon les sondages, près de 80% des votants sont des inflexibles, donc définitivement acquis à François Hollande ou Nicolas Sarkozy, il reste néanmoins une vingtaine de pourcents de flexibles, qui sont acquis à l’un ou l’autre, mais sont susceptibles de changer de l’un pour l’autre. La question clef est donc de savoir s’il est possible de déterminer les proportions de ces basculements et surtout s’il est possible de les influencer.

Il est essentiel de rappeler que les sondages extrapolent une opinion globale à partir d’une mesure d’une série d’opinions individuelles, mais ils n’obtiennent pas la valeur de l’opinion globale à partir des lois qui régissent la dynamique des opinions des uns et des autres. Et pour cause : on ne connaît pas ces lois d’interactions entre individus. C’est pour cela que l’on procède à de nouveaux sondages presque tous les jours en période électorale.

Cependant, bien que les sondages ne puissent pas prédire l’évolution de l’opinion, des pronostics sont construits en se fondant sur une rationalité linéaire basée sur la compilation de situations passées, couplée à une détermination assez fine des électeurs qui se disent certains de leur vote. Ainsi, l’examen des milliers de sondages déjà réalisés dans le passé sur différentes élections montre que dans leur immense majorité, pour chacune d’elle, les inflexions de préférences pour tel ou tel candidat se font gentiment sur des périodes de temps suffisamment longues pour pouvoir « prédire » ce qui se passe. Si effectivement il se passe quelque chose, comme par exemple avec Jean-Luc Mélenchon dont on a pu voir la montée régulière depuis ses 5% d’intentions de vote en novembre jusqu’à ses 17% à 48 heures du scrutin.

Qu’en est-il des certitudes d’une prédiction ?

Simplement comme dans tous les phénomènes, quelles que soient leurs natures respectives, ce qui prévaut quasiment tout le temps, est non seulement inopérant lors de ce que l’on appelle alors des « accidents », mais empêche par leur nature linéaire, de les voir surgir. Ce fut le cas aussi bien avec l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour en 2002, que la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011. La chute brutale de 17% à 11,11% en 48 heures de Jean-Luc Mélenchon s’inscrit dans ce type de rupture, qui illustre bien les limites de la prédiction à partir de sondages. Ils sont fiables, tant qu’il n’y a pas de surprise, ce qui est souvent le cas, mais incapables de prédire l’avènement d’évènements totalement inattendus qui prennent tout le monde de court, sans évolution préalable. Aujourd’hui plus que jamais, où les réseaux sociaux permettent une diffusion très rapide des opinions nouvelles.

Se pose alors la question fondamentale : peut-on prédire l’imprédictible ? La question ne relève ni de la rhétorique ni de la boutade, de nombreux travaux de recherche s’attelant à ce puzzle dans différents domaines scientifiques. Dans ce contexte, considérer aujourd’hui la « catastrophe » d’une victoire de Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle est-elle une posture aberrante alors que les sondages créditent la victoire de François Hollande à environ 55% contre Nicolas Sarkozy à 45% ? Catastrophe signifiant ici une évolution brutale de la cote de popularité qui se mettrait à augmenter soudain de façon anormale sur une période très courte.

Tous les experts et spécialistes ne se lassent pas de le répéter : avec un tel écart dans les sondages à moins de deux semaines du vote décisif, le ratio ne peut pas être inversé. Avec un écart de 10%, il faudrait un renversement d’opinion de 6% de gens favorables aujourd’hui à François Hollande pour le deuxième tour, et qui basculeraient au moment du vote en faveur de Nicolas Sarkozy, pour produire un renversement de majorité avec un score de 49/51 au détriment de François Hollande. Un écart de 2% est certainement moins glorieux que 10% actuellement, mais rappelons que pour être élu et avoir 100% du pouvoir, il suffit d’obtenir 50% plus une seule voix. Mais on nous dit que l’implémentation d’un tel scénario est irréaliste en seulement quelques jours.

Pourquoi ? À la fois parce qu’il n’a jamais été observé auparavant lors d’une élection présidentielle et aussi parce que le nombre de votants décidés, d’inflexibles de chaque camp est très élevé aux alentours de 80%, ce qui, si on prend les estimations au pied du chiffre, ne donne que 20% de gens qui peuvent changer d’opinion, d’où la nécessité d’un basculement d’au moins 30% de ces 20% de flexibles en faveur de Nicolas Sarkozy, ce qui est énorme. Bien que les marges d’erreurs soient substantielles, jusqu’à 2-3% comme l’ont démontré les sondages de sortie des urnes du premier tour, les jeux seraient donc joués. Mais est-ce si sûr ?

Et si la physique pouvait nous éclairer ?

La physique des phénomènes non linéaires, du désordre et du chaos a été capable d’identifier un certain nombre de « singularités » dans la dynamique normalement linéaire d’une grande série de comportements. Ainsi, la rupture soudaine d’une symétrie menant à un bouleversement des propriétés d’un matériau, a été mise en équations et a permis un saut qualitatif extraordinaire dans la compréhension des lois qui régissent la matière inanimée. Ces singularités étant créées par un paramètre externe qui se trouve d’un coup à une valeur dite critique. À ce titre, la « sociophysique » s’ingénue à utiliser ces connaissances pour élucider au moins en partie les mystères qui produisent la dynamique d’opinion.

Le scénario du possible qui n’est pas certain

C’est ainsi que la formation de 1-2% d’inflexibles supplémentaires en faveur de Nicolas Sarkozy, associée à l’audace de quelques personnes inédites osant lui affirmer leur soutien, serait à même d’entraîner les 30% de flexibles nécessaires à sa victoire. Un scénario hautement improbable aujourd’hui, mais qui pourrait être possible. Il ne s’agit là que de considérations fondées sur des modèles qui, s’ils veulent décrire en partie la réalité, ne sont pas pour autant la réalité. Cependant, ces esquisses sembleraient démontrer qu’il faut prendre garde aux prédictions de bons sens et que pour le dimanche 6 mai, les jeux sont encore loin d’être faits. S.G.

Serge Galam

Qui est Serge Galam ?

Serge Galam est Directeur de Recherche CNRS et membre du Centre de recherche en épistémologie appliquée (CREA) de l’École Polytechnique. Physicien, théoricien du désordre, il a une carrière internationale et est mondialement connu pour ces travaux de recherche. Il est l’auteur de plus d’une centaine d’articles scientifiques originaux publiés dans les meilleurs journaux internationaux avec comités de lecture. Il a également publié de nombreux articles grand public sur ses recherches, aussi bien dans des quotidiens comme Le MondeLibération et France-Soir que des dans revues comme Pour la ScienceLa Recherche, Science et Vie. Il a publié chez Plon en 2008 « Les scientifiques ont perdu le Nord. Réflexions sur le réchauffement climatique », et il y a tout juste un mois, un volumineux ouvrage d’introduction à la « sociophysique » chez Springer à New York. Fréquemment invité dans les congrès internationaux et dans les universités du monde entier, il y a donné plus de deux cents conférences et séminaires. Dans le cadre de ses travaux de recherche, il a séjourné et enseigné dans plusieurs universités à travers le monde.

Il est le père de la « sociophysique », un nouveau domaine en émergence au niveau international, à la frontière de la connaissance entre l’atome et l’humain, qui utilise des méthodes et concepts issus de la physique des effets collectifs pour décrire des comportements politiques et sociaux. Cette « sociophysique », si elle ne constitue pas encore un domaine validé, a déjà permis un certain nombre de prédictions.

En particulier Serge Galam a pu faire la première prédiction vérifiée d’un événement hautement improbable à partir de ses modèles de dynamique d’opinion, avec la prédiction de la victoire du Non au référendum sur la Constitution européenne plusieurs mois avant le vote. Il avait même mis en garde, dès 2002, contre l’utilisation de référendum pour la construction européenne même si les sondages lui étaient toujours très favorables. Il a également prévu à partir de ses modèles de votes en 1997 comment le Front National, parti d’extrême droite, pourrait arriver au pouvoir démocratiquement et par surprise totale. Et c’est ce type de scénario qui s’est effectivement produit en 2002 avec son chef restant au deuxième tour de l’élection présidentielle. À partir de son modèle de contrariant, il a prévu dès 2004 que les élections à cinquante-cinquante étaient sur le point de se produire fréquemment dans les démocraties occidentales. Et ce qui a été prévu s’est produit. Les élections à cinquante-cinquante se sont répétées contre toute attente, en 2005 en Allemagne, en 2006 en Italie, en 2006 au Mexique et en Tchéquie.

Il travaille actuellement sur le pouvoir de conviction des minorités, le phénomène des rumeurs, la dynamique de formation d’opinion, la formation de coalitions, ainsi que sur l’effet des supporters passifs dans l’action terroriste par l’utilisation de la théorie de la percolation.

INFORMATIONS PRATIQUES

Pour en savoir plus :

S. Galam, « Sociophysics, A physicist’Modeling of Psycho-Political Phenomena », Springer (2012)

S. Galam, « Public debates driven by incomplete scientific data: The cases of evolution theory, global warming and H1N1 pandemic influenza », Physica A 389 (2010) 36193631

S. Galam, « Les mathématiques s’invitent dans le débat européen » par P. Lehir (interview), Le Monde, 26/02 (2005) 23

S. Galam, « Crier, mais pourquoi », Libération du 17/04 (1998) 6

S. Galam, « Le dangereux seuil critique du FN », Le Monde, 30/05 (1997) 17

>>Le site de la sociophysic

L’article original sur le site jolpress.com Cliquez ICI !

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