ANTILLES : La francisation des bateaux de plaisance

Yves KINARD
Par Yves KINARD 9 Oct 2012 21:49

La proximité des USA et la communauté de langue ainsi qu’un dollar relativement faible joints à la crise économique sont les éléments qui ont nourri pendant longtemps un marché de l’occasion fructueux en matière de bateau. Même si le dollar est un peu moins favorable, il reste de très bonnes occasions à faire. Pourtant, c’est un marché piégé si l’on ne fait pas attention à quelques points qui risquent de transformer le beau rêve en cauchemar.

Plusieurs officines à Saint Martin ou Saint Barthélemy se sont spécialisées dans la chasse aux bonnes affaires en Floride notamment pour ensuite les proposer à la vente localement. Malheureusement la bonne affaire peut se transformer en catastrophe au moment de l’immatriculation avec l’impossibilité de mettre le bateau sous pavillon français. Cette découverte intervient, hélas, alors que l’achat est déjà fait. Il n’y a plus moyen alors de se défaire du bateau sauf à le renvoyer aux USA.

Le problème majeur provient que maintenant un bateau doit être marqué CE pour être introduit sur le marché européen, et Saint Martin en fait partie, comme Saint Barthélemy malgré son statut de PTOM et bien entendu les départements d’Outre Mer. Les bateaux américains sont rarement vendus avec un certificat européen, même si les plus récents, chez certains constructeurs, sont directement conformes aux normes européennes, américaines et canadiennes. Mais pour les bateaux les plus anciens, c’est rarement le cas. Il faut donc alors faire “homologuer” à la pièce son bateau, un peu comme cela se passe avec les voitures achetées localement et qui doivent passer aux mines en cas de retour en France si elles n’ont pas de marquage CE. Et force est de constater qu’il y a des obstacles importants, parfois définitifs, à la certification CE. Il y a donc un certain nombre de choses auxquelles il faut faire attention au moment de procéder à un achat aux USA.

Le point le plus important concerne le ou les moteurs. Ils doivent être impérativement marqués CE ou une norme approuvée au moment de leur importation. S’il s’agit de hors bords, le problème est assez simple à solutionner en cas d’inadéquation, c’est d’en racheter d’autres localement marqués CE. Mais cela a un coût qui n’avait peut-être pas été envisagé au départ. S’il s’agit de moteur in-board, le problème se complique grandement. Les bateaux américains sont généralement avec des moteurs essence assez souvent conformes aux normes californiennes très sévères en matière d’émissions gazeuses, équivalentes aux normes CE, et il est possible, si le moteur n’est pas trop vieux, de le faire passer. En diesel, le problème est évidemment le même, mais s’avère dans les faits difficilement solvable car rarement aux normes californiennes (sauf moteurs très récents). Il faut d’emblée savoir que le ou les moteurs seront à remplacer si l’on veut être francisé. Mais dans les deux cas, il y aura des chances de devoir subir un examen complémentaire lié au bruit. En effet, dans le cas d’un hors-bord, le moteur est certifié pour les émissions gazeuses, mais aussi pour le bruit, tandis qu’en cas de moteur in-board, ce n’est que si l’échappement est intégré, c’est-à-dire par l’embase, que le motoriste se préoccupe du bruit. En cas d’échappement normal humide, c’est le constructeur du bateau ou l’importateur dans le marché européen qui doit s’en préoccuper. Et c’est un test qui n’est pas simple à passer. Sont concernés principalement les bateaux rapides.

D’autres points sont à bien analyser avant d’acheter, par exemple la hauteur du fond du cockpit au-dessus de l’eau, en charge. Cette remarque vise principalement les bateaux genre cigarette qui ne sont généralement pas auto-videurs. En d’autres termes, pour être homologués, les bateaux CE doivent avoir un cockpit qui se vide naturellement dehors (et pas dans la cale comme c’est souvent le cas aux USA). Autre point important, mais rarement rédhibitoire, le réservoir doit impérativement disposer d’une plaquette d’identification mentionnant la nature du carburant, le volume, la pression de test et éventuellement la norme de résistance au feu. Tout le reste peut généralement être adapté. Mais il faut savoir que maintenant, depuis un mois, les bateaux considérés comme neufs au sens nouvellement introduits sur le marché européen, et quel que soit leur âge, s’ils sont d’après 1998, doivent répondre aux normes. En France, la norme de référence est la division 240, laquelle est la transposition en droit français du droit communautaire. La manière d’établir cette conformité est de passer un examen auprès d’un expert d’un organisme notifié qui va établir selon un protocole qui s’appelle PCA (pour Post Construction Assesment) la conformité du bateau à l’intégralité des normes CE. A terme, et après éventuels travaux de mise en conformité, il fournira le rapport de PCA ainsi que la déclaration de conformité à signer par le responsable de l’importation. Après, vous pourrez aller voir les Affaires Maritimes et la Douane pour franciser et immatriculer votre bateau. En dehors de cette procédure, point de salut. A noter que les Affaires Maritimes devraient établir la conformité à la division 240, mais l’administration a décidé de déléguer cet examen de conformité à des organismes maîtrisant parfaitement les normes européennes que sont les organismes notifiés (comme Bureau Veritas, Lloyd, Rina, Germanischer Lloyd, etc..) Il est utile de préciser aussi que ce n’est pas parce qu’un bateau du même type est immatriculé quelque part en France ou dans l’Union Européenne que l’on peut s’en réclamer pour demander (ou exiger comme certains se croient en droit de le faire) la francisation. Seul le constructeur ou son mandataire européen est à même de fournir une attestation prouvant la conformité du bateau aux normes CE.

Il faut savoir aussi qu’il est illégal et répréhensible de faire immatriculer son bateau en partie hollandaise tout en étant résident fiscal en partie française. Enfin, les bateaux à usage professionnel non marqués CE, mais même sous pavillon communautaire, doivent à partir du 15 octobre passer en régime NUC (navire à utilisation collective) et doivent donc satisfaire aux conditions d’un examen en PCA. Il est rappelé qu’un bateau à usage professionnel marqué CE ne peut pratiquer en plaisance le ticketing mais doit passer en NUC (avec les obligations en terme d’équipage et de matériel de sécurité et d’armement qui vont avec). L’hypocrisie consistant à faire croire que le bateau a été affrété ou qu’on est entre amis ne résistera pas longtemps en cas de contrôle et le skipper ainsi que le propriétaire s’exposent à des poursuites. Au passage, on ne peut faire un usage professionnel en charter d’un bateau doté de moteurs in-board essence. Enfin, faites aussi attention quand le vendeur aux USA (ou un relais local) vous prétend qu’un organisme notifié a délivré une Déclaration Européenne de Conformité (DEC). Il y a souvent des erreurs, à la limite des escroqueries. La plus visible est celle du mandataire. Il faut savoir qu’il n’y en a qu’un par marque pour toute l’Union Européenne, et qu’il doit obligatoirement avoir son siège en Europe. Donc une DEC émise même par un organisme notifié et signée par un mandataire aux USA est fausse. Fausse aussi celle qui est signée par un prétendu mandataire européen inconnu des services de l’administration. Fausse aussi celle qui est signée par un inspecteur d’un organisme notifié apparaissant aussi comme mandataire européen et domicilié aux USA à l’adresse locale de l’organisme notifié. Depuis un mois, il n’est plus possible de demander à un organisme notifié de faire un test de stabilité selon la norme ISO 12217 pour obtenir un certificat permettant ensuite de signer soimême la DEC. Dorénavant, tout navire construit hors de l’Europe doit se soumettre à un PCA qui comprend d’ailleurs assez souvent ce test.

Un bateau neuf construit en Guadeloupe par exemple doit être livré avec une DEC et être marqué CE sous la responsabilité du chantier selon une procédure d’auto-certification selon le module A des normes. Ce faisant il est censé être conforme à la loi française qui est la division 240. Si ce n’est pas le cas, posez-vous des questions. Son immatriculation sera impossible. Attention qu’en cas d’usage professionnel, le bateau devra aussi passer un PCA, l’administration préférant qu’un organisme notifié vérifie les allégations du chantier.

Attention aussi aux escroqueries qui consistent sur quelques sites spécialisés à vous délivrer une attestation européenne, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, sans être venu voir le bateau. Pour établir un PCA le bateau doit être visité par un inspecteur. L’organisme notifié qui a établi la conformité de type d’un modèle lors de son introduction sur le marché européen ne peut délivrer une DEC sur un autre bateau sans avoir vérifié physiquement que celui-ci est conforme au modèle type. C’est au mandataire européen à le faire sauf si l’organisme notifié a connaissance par le numéro de série de la conformité de ce bateau au modèle type qu’il a précédemment approuvé. En effet, il arrive souvent que le modèle destiné à l’Europe diffère un peu du modèle vendu ailleurs dans le monde. Et il n’y a évidemment que le constructeur ou son mandataire qui sont à même de répondre à ces questions (et d’ailleurs, quand on les questionne sur un bateau livré aux USA, ils refusent de délivrer une DEC alors que le même bateau est vendu en Europe).

La législation est très complexe et ne sont pas abordés dans cet article de nombreux cas particuliers (notamment la construction amateur). Pour ceux que cela intéresse, ils peuvent toujours me contacter ou poser la question via ce site. Le message de conclusion est simple et c’est la vocation de cet article: évitez de vous faire piéger et d’acheter un bateau dont vous ne saurez rien faire après, à part peut-être le revendre à Sint Maarten ou dans une autre île, en dehors des départements français soumis aux mêmes règles. Evitez de donner raison au proverbe anglais qui, donnant la définition d’un bateau, dit: “a big hole in the water where you put all your money”.

Yves KINARD

Yves KINARD
Par Yves KINARD 9 Oct 2012 21:49